Présenté par : Éric Richard et Isabelle Lapointe-Therrien, Campus Notre-Dame-de-Foy
Le milieu scolaire est l’un des endroits où les personnes s’identifiant à la diversité sexuelle et de genre vivent le plus d’intimidation et de violence (Chamberland et collab., 2011; Stolzenberg et Hughes, 2017; Groupe de travail sur l’éducation (2021, Décembre).
Plusieurs études, dont celles réalisées par le Groupe de travail mixte contre l’homophobie (GTMH, 2007), montrent que l’intimidation et les diverses violences vécues en milieu scolaire peuvent avoir de fortes répercussions dans le développement et l’acceptation de soi et amener des difficultés d’ordre psychosocial (isolement, intégration plus difficile auprès des pairs, troubles anxieux ou de l’humeur, comportements à risque, etc.) (D’Augelli, 2002; Coggan, 2003; Taylor et collab., 2011; Kosciw et collab., 2014). Ces répercussions et difficultés ont souvent des impacts sur la santé physique et mentale (anxiété, détresse psychologique, dépression, culpabilité) (Dupras, 1994; Julien et Chartrand, 2003, cités dans GTMH, 2007 : 16-17) et sur le fait d’entrevoir des perspectives futures négatives (Villatte et collab., 2017). Les répercussions à long terme mènent également des jeunes à développer des idées suicidaires, dont certains passeront à l’acte (Dorais et Lajeunesse, 2000; Secrétariat de la jeunesse et collab., 2006; di Giacomo et collab., 2018).
Ces violences et intimidations fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle en milieu scolaire peuvent aussi influencer négativement les aspirations, la réussite et la persévérance scolaires (D’Augelli, 2002 et 2003; Coggan, 2003; Taylor et collab., 2010 et 2011; Kosciw, Diaz et Greytak, 2008; Kosciw et collab., 2010 et 2014). Les jeunes qui en sont victimes sont plus enclins que leurs pairs à manquer l’école, à connaître des difficultés scolaires et à avoir des aspirations scolaires limitées. Or, l’absentéisme, les faibles sentiments de sécurité et d’appartenance à son établissement scolaire, ainsi que la difficulté à se projeter dans l’avenir ont tous été identifiés comme des facteurs influençant de façon défavorable la réussite et la persévérance scolaires (Fortin et Bigras, 1996; Potvin, Fortin et Lessard, 2006).
Il apparaît donc incontournable que les directions d’établissements d’enseignement postsecondaire prennent acte de ces conséquences et posent des actions concrètes afin de fournir aux étudiants des milieux de formation qui les protègent contre le harcèlement, les préjugés, l’intolérance et les violences ; où la haine, le mépris, le racisme, le sexisme, le genrisme n’ont pas leur place.
À l’automne 2020, nous avons mené une enquête dont l’objectif était de documenter différents enjeux concernant la diversité sexuelle et de genre dans le réseau collégial québécois. L’enquête a été réalisée dans 7 collèges de la région de la Capitale-Nationale auprès de 2 876 étudiants et étudiantes. Les résultats obtenus (dont les faits saillants ont fait l’objet d’une présentation disponible en ligne) et des réflexions provenant des écrits spécialisés permettent de formuler 7 recommandations destinées aux collèges québécois, mais aussi applicables à tout établissement d’enseignement postsecondaire canadien. Le lecteur averti observera que ces recommandations font en bonne partie écho aux cinq priorités du plan d’action gouvernemental québécois de lutte contre l’homophobie et la transphobie.
1. Travailler en partenariat avec les organismes dont la mission vise à promouvoir positivement la diversité sexuelle et de genre afin de sensibiliser et d’intervenir auprès de la communauté collégiale.
Les établissements d’enseignement ne peuvent travailler seuls et doivent créer des partenariats avec des organismes qui possèdent des compétences spécifiques en matière de diversité sexuelle et de genre. Ce type de partenariat avec des organismes, pour la plupart communautaires, bonifierait les ressources des collèges pour mieux répondre aux besoins des étudiants et des étudiantes. Cela permettrait également de rehausser la confiance de la communauté étudiante à l’égard de leurs établissements lorsque des situations surviennent en matière de diversité sexuelle et de genre.
2. Adopter une politique spécifique concernant la diversité sexuelle et de genre qui vise à améliorer le sentiment de sécurité et de confiance envers l’établissement.
L’une des actions à poser par les établissements d’enseignement est d’adopter une politique spécifique concernant la diversité sexuelle et de genre. Une telle politique doit prévoir des mécanismes pour le traitement des plaintes, les dénonciations de comportements inappropriés et sanctionner la violence homophobe, transphobe, etc. au même titre que tout autre type de violence.
3. Mettre en place des mesures favorisant l’ouverture et l’inclusion envers la diversité et explicitement envers la diversité sexuelle et de genre.
Il est nécessaire qu’une ouverture explicite à l’égard de la diversité sexuelle et de genre soit publicisée et affichée. Selon le rapport de Vallières (2015), concernant la recension des pratiques d’inclusion et d’intégration des étudiants et des étudiantes trans dans les universités américaines et canadiennes, il est possible d’identifier différentes initiatives et interventions pour rendre les établissements postsecondaires plus inclusifs : présence du drapeau arc-en-ciel, de toilettes non genrées, conception et diffusion d’outils d’intervention et de bonnes pratiques en matière de lutte contre l’homophobie, la discrimination et le harcèlement, activités de sensibilisation et de formation offertes destinées au personnel, documents administratifs adaptés, etc.
4. Former tous les membres du personnel des collèges sur les enjeux de la diversité sexuelle et de genre.
Dans le contexte où plusieurs jeunes issus de la diversité sexuelle et de genre s’inscrivent aux études postsecondaires marqués psychologiquement par des événements homophobes ou transphobes vécus au secondaire (Chamberland et collab., 2011), il apparaît important de fournir des formations ponctuelles destinées à tout le personnel des établissements d’enseignement, pour mieux l’informer sur les concepts de base, les mythes et préjugés, l’évolution des droits des personnes de la diversité sexuelle, les lois, les bonnes pratiques d’intervention, etc. La collaboration des organismes spécialisés serait un précieux atout.
5. Mettre en place une procédure de signalement et de traitement des plaintes concernant la diversité sexuelle et de genre.
Les données de notre enquête montrent que malgré les dénonciations effectuées par les victimes ou les témoins de situations homophobes ou transphobes, peu d’actions concrètes sont entreprises par les directions d’établissements d’enseignement pour y donner suite. En tenant compte des effets de l’intimidation et de la violence à l’égard des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre, et en partenariat avec les organismes spécialisés, des procédures de signalement devraient être mises en place afin de traiter adéquatement les plaintes, et ce, de façon équitable.
6. Promouvoir et soutenir la présence de comités alliés, de comités diversité, de comités LGBT+ dans les collèges.
Il semble que la présence de différents comités relatifs à la diversité sexuelle et de genre dans les établissements d’enseignement ait un effet positif sur l’ouverture des étudiants et des étudiantes. Il apparaît donc important que les directions d’établissements contribuent à la mise en place et à la pérennité de ce type de comité. Celui-ci peut devenir un partenaire supplémentaire des établissements dans la réalisation de leurs actions concernant la diversité sexuelle et de genre.
7. Planifier les activités de sensibilisation, de formation et d’éducation dans un continuum d’intervention du primaire au secondaire et au collégial auprès des élèves et des étudiants et étudiantes en privilégiant l’intervention en classe.
Les activités de démystification et de sensibilisation à la diversité sexuelle et de genre organisées ponctuellement ont un effet immédiat et positif sur les perceptions des étudiants et des étudiantes (Boulden, 2005), mais les effets à long terme sont plutôt mitigés (Probst, 2003). Cela ne signifie pas que ce type d’intervention ne soit pas pertinent, mais les recherches tendent à montrer que des programmes d’éducation concertés à long terme sont plus efficaces (Probst, 2003 ; Szalacha, 2003 ; Boulden, 2005). Il y aura lieu d’imaginer aussi un continuum d’intervention et de sensibilisation planifié, organisé entre les différents ordres d’enseignement, du primaire à l’enseignement supérieur. Au Québec, ce continuum demande à être imaginé et exige un travail de longue haleine, mais cela en vaut le coût pour fournir à tous les jeunes des lieux d’apprentissage sécurisants.
Nous sommes persuadés que l’éducation et la sensibilisation sont de puissants outils de transformation sociale. Devant la persistance des violences et de l’intimidation vécues par les étudiants et les étudiantes s’identifiant à la diversité sexuelle et de genre dans les différents espaces qu’ils et elles traversent quotidiennement, nous croyons qu’il en va du devoir des établissements d’enseignement de participer à les combattre. Une des forces de l’enseignement ne consiste-t-elle pas d’ailleurs à agir en amont, soit en déconstruisant les préjugés dont peuvent être victimes certaines populations ? C’est guidé par un idéal d’instruire une jeunesse libre de préjugés que nous pensons que les directions d’établissements d’enseignement postsecondaire doivent se comporter comme de réels leaders et avoir le courage de poser des actions concrètes dès maintenant.
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Référence suggérée : Richard, Éric et Lapointe-Therrien, Isabelle (2022). Le courage de fournir à toutes les personnes étudiantes issues de la diversité sexuelle et de genre des milieux de formation inclusifs et sécurisants. Le courage d’agir. www.couragetoact.ca/blog/des-milieux-inclusifs.
Références citées dans cet article
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Chamberland, Line et collaborateurs. (2011). L’homophobie au collégial au Québec. Portrait de la situation, impacts et pistes de solution. Rapport de recherche. Montréal, Université du Québec à Montréal.
Coggan, Carolyn et collaborateurs. (2003). Association between Bullying and Mental Health Status in New Zealand Adolescents. International Journal of Mental Health Promotion, 5(1), 16-22.
D’Augelli, Anthony R. (2002). Mental Health Problems among Lesbian, Gay and Bisexual Youths Age 14 to 21. Clinical Child Psychology and Psychiatry, 7(3), 433-456.
D’Augelli, Anthony R. (2003). Lesbian and Bisexual Female Youths Ages 14 to 21 : Developmental Challenges and Victimization Experiences. Journal of Lesbian Studies, 7(4), 9-29.
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