« Le problème avec les filles au labo » : Le coût inacceptable de la violence genrée en sciences
Présenté par : Dr. Imogen Coe
En 2015, les propos du Dr. Tim Hunt, un biochimiste britannique lauréat d’un prix Nobel ont soulevé l’ire populaire lorsque celui-ci a affirmé que : « Le problème avec les filles au labo, c’est que vous tombez amoureux d’elles et elles de vous et après, quand vous les critiquez, elles pleurent ». Il ne s’agit pas de propos rapportés, tenus à huis clos ou immédiatement démentis. Le Dr. Hunt a librement admis avoir fait ce commentaire. De surcroît, il s’est ensuite défendu en affirmant qu’il s’agissait d’une simple blague qui avait mal été comprise et qu’il était injustement traité dans l’opinion publique.
Beaucoup d’écrits ont été publiés au sujet de la culture d’exclusion présente en sciences (parfois décrites par l’acronyme STIM - science, technologie, ingénierie et mathématiques) face aux femmes et aux groupes marginalisés tels que les personnes racisées, les membres des communautés LGBTQIA2S+ et les personnes en situation de handicap. Il existe de nombreuses données en provenance de partout dans le monde (par exemple, de l’UNESCO, de l’OCDE) qui exposent la représentation disproportionnée des hommes en sciences et en médecine, et ce, tout particulièrement dans les échelons hiérarchiques supérieurs, aux postes de direction et de pouvoir. De nombreuses recherches sur la culture présente en STEM ont également été réalisées, assorties de recommandations sur les meilleures façons d’augmenter la participation et la représentation de l’humanité toute entière dans ces disciplines. Aux États-Unis, un important rapport publié en 2018 par l’Académie nationale de sciences, d’ingénierie et de médecine (National Academies of Science, Engineering and Medicine) a démontré que 58 % des femmes évoluant dans ces disciplines avaient déjà subi une forme de harcèlement sexuel. Le niveau de harcèlement subi par les femmes de ces milieux se situait tout juste sous celui signalé par les femmes présentes dans l’armée américaine (plus de 60 %). Dans l’étude, le harcèlement a été défini comme des comportements verbaux et non verbaux qui véhiculent l’hostilité, l’objectivation, l’exclusion ou qui attribuent un statut de second rang en fonction du genre. La définition comprenait également les attentions sexuelles non désirées (avances sexuelles verbales ou physiques indésirables, incluant les agressions sexuelles) et la coercition sexuelle (qui sous-tend qu’on recevra un traitement professionnel ou éducatif favorable conditionnellement à la tenue d’une activité sexuelle). Le harcèlement pouvait être direct (ciblé vers un individu en particulier) ou ambiant (une atmosphère générale qui sous-tend le harcèlement sexuel).
Au Canada, il n’existe pas de rapports ou d’études permettant de recenser la prévalence des incidents de violences sexistes dans les STIM, mais il est définitivement possible de s’attendre à des niveaux forts similaires. En effet, le Canada a été le théâtre de ce qui constitue probablement l’acte le plus odieux de violence sexiste ayant jamais été commis contre les femmes dans les STIM ; le meurtre ciblé de femmes poursuivant des études et des carrières en ingénierie à Polytechnique Montréal en 1989. Au cours des 30 dernières années, ce secteur a d’ailleurs commencé à lutter contre sa culture peu accueillante en limitant les activités misogynes pendant les activités d'accueil sur les campus, en faisant participer les étudiants de genre masculin à des ateliers sur la saine masculinité et en offrant du soutien ciblé à divers groupes minoritaires. Malgré cela, nous devons aller plus loin pour garantir que toutes les formes de violences genrées soient éliminées des STIM.
Que peuvent faire les personnes qui œuvrent dans le secteur des services offerts à la communauté étudiante ?
Reconnaître que le problème de la violence fondée sur le genre dans les STIM est réel. Les données sont là. Les histoires sont là. Cherchez avant tout à écouter et à apprendre. Prenez conscience de la nature insidieuse de la violence genrée dans les STIM : « C’est juste une blague, tu as mal compris »
Savoir que les personnes qui étudient en sciences peuvent courir des risques en raison de la manière dont les travaux de recherche scientifique sont généralement menés. Les travaux en laboratoire et la recherche terrain qui sont requis dans le cadre de certains cours ou de certains programmes d’études supérieures peuvent impliquer de longues heures de travail dans des endroits éloignés où l’accès est restreint, parfois avec une supervision limitée.
Comprendre que les structures hiérarchiques (c’est-à-dire, les personnes qui font de l’assistance et qui supervisent les étudiants et les étudiantes de premier cycle ainsi que les membres du corps professoral qui supervisent les étudiants et les étudiantes aux cycles supérieurs) peuvent entraîner des déséquilibres de pouvoir importants. De plus, les façons de signaler un événement répréhensible tout comme les conséquences pour les personnes ayant commis des gestes sanctionnables sont rarement communiquées de façon claire.
Prendre conscience que les conférences et les congrès, en particulier lorsque l’alcool est présent, sont des événements reconnus comme étant des situations à haut risque pour la communauté étudiante.
Savoir que les scientifiques qui font preuve de professionnalisme (autant chez les hommes que chez les femmes) n’ont généralement pas conscience de leurs propres préjugés, notamment puisque leur identité à titre de chercheur ou de chercheure est fortement liée à la notion d’objectivité. De surcroît, les scientifiques connaissent rarement la recherche effectuée en sciences sociales sur les questions liées au genre, à la violence sexiste, aux préjugés et aux hiérarchies de pouvoir.
Travailler à transformer la culture actuelle pour mieux soutenir les personnes qui ont vécu de la violence genrée, notamment en faisant la promotion de l’intervention des témoins, de la masculinité saine et des compétences de base en matière de violence genrée tout en anticipant les résistances face à ces sujets qui sont généralement peu abordés dans le milieu des STIM.
Dr. Myra Sadker, une grande pédagogue ayant contribué à la sensibilisation face aux préjugés sexistes dans le système éducatif des États-Unis a déjà dit : « Si le remède pour le cancer se trouve dans le cerveau d’une fille, nous ne le trouverons peut-être jamais ». Collectivement, au Canada, nous ne pouvons pas nous permettre que la violence genrée dans les STIM entraîne l’exclusion de talents, peu importe d’où ils viennent.
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Référence suggérée : Coe, Imogen. (2021, avril). « Le problème avec les filles au labo » : Le coût inacceptable de la violence genrée en sciences. Le Courage d’agir. www.couragetoact.ca/blog/violence-genre-en-sciences