Une série d’articles rédigés par Deb Eerkes, du groupe de travail sur les processus de plaintes du Courage d’agir.
Vous êtes en train de consulter la première partie d’une série d’articles intitulés « Des questions simples aux réponses complexes ». Chaque article de cette série portera sur une question commune et (apparemment) simple concernant les processus de plainte en matière de violence fondée sur le genre dans les établissements d’enseignement postsecondaire. Débutons :
La violence sexuelle est un acte criminel – Pourquoi les établissements d’enseignement post-secondaire sont-ils mêmes impliqués dans ces questions ?
Il s’agit d’une question fréquente et tout à fait pertinente !
Il est vrai que la mise en œuvre du Code criminel du Canada relève uniquement des forces policières et des tribunaux ; les établissements d’enseignement post-secondaire ne sont ni équipés ni autorisés à porter des accusations ou à entendre et juger des procès criminels. Ceux-ci œuvrent plutôt sous le giron du droit administratif, qui leur permet de créer et de mettre en application des politiques, y compris des codes de conduites et des conventions collectives. En matière de violence sexuelle, cela peut coïncider avec des affaires criminelles, mais ce n’est pas toujours le cas.
Voyez-le de cette façon : Les établissements d’enseignement post-secondaire rédigent des politiques qui les aident à accomplir leur mission éducative. En plus d’être des établissements d’enseignement, ce sont aussi des lieux de travail, des espaces sociaux et même, dans certains cas, des lieux de résidence. Or, la violence fondée sur le genre génère un environnement toxique et dangereux qui empêche la communauté étudiante de participer pleinement à son expérience éducative. Cette violence crée aussi des conditions dangereuses pour ceux et celles qui vivent en résidence ou qui participent aux activités organisées sur le campus. Enfin, il est maintenant reconnu que la violence fondée sur le genre produit des conditions de travail néfastes. Les établissements d’enseignement post-secondaire sont donc tenus d’agir de manière appropriée et proportionnée pour maintenir des environnements d’études, de vie et de travail sécuritaires et exempts de harcèlement (y compris la violence fondée sur le genre). Le tout, afin de permettre à sa communauté de pouvoir enseigner, apprendre, socialiser, vivre et travailler.
Le système de justice pénal ne cherche à atteindre aucun de ces objectifs. Son rôle est de déterminer si un individu a commis un crime et, si tel est le cas, à lui imposer une sanction. Un verdict de culpabilité génère un casier judiciaire disponible publiquement et qui accompagne une personne tout au long de sa vie. Un tel verdict peut également mener à une peine d’incarcération. Par conséquent, les tribunaux disposent de protections rigoureuses, notamment une norme de preuve qui s’étend au-delà de tout doute raisonnable, des procédures inflexibles et des règles strictes.
Malheureusement, les établissements d’enseignement post-secondaire confondent parfois eux-mêmes les distinctions entre les processus administratifs et criminels. De nombreux établissements cherchent à imiter les procès criminels lors de leurs audiences. Ils font d’ailleurs usage de la terminologie pénale en utilisant des termes tels que « victime », « accusé », « chefs d’accusation », « infractions », « procès », « verdict » ou « sentence » à même les politiques et discussions de nature administratives. Il n’est donc pas étonnant que cela engendre de la confusion.
Les processus des établissements d’enseignement post-secondaire, qu’ils concernent la conduite étudiante ou la discipline des membres du personnel, sont confidentiels et ne créent aucun dossier à l’extérieur de l’institution. Comme l’exige le droit administratif, les établissements utilisent la prépondérance des probabilités comme norme de preuve et disposent d’une grande souplesse dans la conception de leurs politiques et de leur procédures, pour autant que celles-ci soient équitables sur le plan procédural (voir le chapitre du guide intitulé « Le traitement des plaintes de violence fondée sur le genre : guide synoptique pour l'équité procédurale, la prise en compte des traumatismes et la réduction des dommages »).
Il importe d’insister sur un élément abordé précédemment : le rôle des établissements d’enseignement supérieur dans la lutte contre la violence fondée sur le genre est de rétablir un environnement propice à la poursuite de leur mission éducative, d’en garantir l’accès équitable et égal, et de respecter leurs obligations en matière de sécurité au travail. Cela signifie que les établissements doivent à la fois soutenir les personnes plaignantes pour qu’elles puissent participer pleinement au sein de la communauté – ou leur permettre de s’absenter si besoin est, et ce, sans désavantage induit envers elles – et chercher à prévenir la violence fondée sur le genre lorsque cela est possible. L’accent mis sur la punition, qui est le propre du système pénal, sert rarement l’un ou l’autre de ces objectifs. Dans certains cas, les établissements d’enseignement post-secondaire sont en mesure de répondre aux besoins des personnes survivantes et de leurs communautés en mettant en place des mesures de sensibilisation et des activités de formation ou en offrant la possibilité de recevoir des excuses significatives. Ces façons de faire sont étrangères aux tribunaux pénaux. C’est d’ailleurs pour cette raison qu'une plainte peut être déposée à la fois à la police et au sein d’un établissement d’enseignement post-secondaire : celles-ci visent des objectifs foncièrement différents.
Il faut sans cesse se remémorer la mission éducative des établissements d’enseignement post-secondaire. Ceux-ci doivent faire tout leur possible pour que leurs procédures de plainte restent séparées et distinctes des procédures pénales. Cela passe d’abord par le retrait du langage associé à la justice pénale au sein de leurs lexiques, de leurs politiques et de leurs procédures. De même, les établissements doivent veiller à ne pas reproduire le modèle pénal dans leurs processus de plainte. Au final, le fait de remplacer l’approche criminelle par une approche fondée sur l’équité et de mettre en place des procédures qui tiennent compte de la justice procédurale et des traumatismes et qui comprennent des mesures visant à réduire les préjudices pour toutes les parties impliquées rend le processus plus équitable. Cela contribue du même coup à la réalisation de la mission éducative des établissements d’enseignement post-secondaire.
Les travaux du groupe de travail sur les processus de plainte s’attardent aux processus qui suivent le dépôt d’une plainte formelle en matière de violence fondée sur le genre au sein des établissements d’enseignement supérieur. Le tout, dans le but d’inspirer les établissements à adopter des approches qui tiennent compte des traumatismes, qui respectent l’équité procédurale et qui réduisent les préjudices pour les personnes plaignantes, les personnes répondantes, celles qui sont témoins ainsi que l’ensemble du personnel impliqué dans le processus, et ce, du dévoilement jusqu’aux mesures d’appel. Le groupe de travail sur les processus de plainte est l’un des trois groupes de travail qui composent le projet Le courage d’agir. Chacun de ces groupes est composé de personnes expertes dans leurs domaines respectifs, et ce, partout au Canada. Le groupe de travail sur les processus de plainte est composé de Deborah Eerkes et Britney De Costa, avec la contribution de Zanab Jafry.
__________
Référence suggérée : Eerkes, D. (2022, avril). Des questions simples aux réponses complexes – Partie 1 : Les enquêtes sur les violences basées sur le genre ne devraient-elles pas être confiées à la police ? Le courage d’agir. www.couragetoact.ca/blog/questions-simples-partie-1