Par : Kimberley Marin
Mon histoire débute en 2015 ; je suis toute motivée à entamer des études universitaires de maîtrise au département de génie mécanique à l’École de Technologie Supérieure (ÉTS). Dès mon arrivée, je constate que c’est un univers à prédominance masculine, soit à plus de 80 %. Il n’est pas rare d’être deux ou trois filles dans une classe de 40 personnes.
Dès mon arrivée, les propos sexistes ne tardent pas. Par exemple, dans un laboratoire où je ne comprends pas un problème, je demande l’aide du gars à côté de moi. Celui-ci me répond « Je t’aiderai quand je voudrai te fourrer. ». Je suis incrédule et lorsque je lui demande pardon, il a le culot de répéter. Ça, c’était à ma première semaine de la rentrée. Un autre exemple? Je vais dans un party au Pub de l’école et je me fais pogner les fesses.
Comme je suis tout de même motivée et impliquée, je me présente aux élections du syndicat étudiant, en mentionnant notamment dans ma plateforme que je veux me pencher sur les droits des femmes. Un jour, un peu avant les élections, je demande à l’enseignant du cours « Charge de projet » s’il me donne l’autorisation de me présenter devant la classe et d’inciter les gens à aller voter. Il accepte, mais après mon discours, lorsque je retourne m’asseoir à mon bureau, il dit devant toute la classe : « Si tu veux qu’ils votent pour toi, t’as juste à te mettre une jupe courte! ». Des rires malaisés s’ensuivent, mais personne ne prend ma défense. Je suis anéantie, comme si tout ce que je venais de dire n’avait aucune crédibilité.
En septembre 2015, c’est le party d’initiations et il fait très beau. Au début, c’est cool, il y a des gens déguisés partout au parc, de la pizza et de la musique. Tout à coup, une gang de gars me prend par derrière et me soulève dans les airs. Je leur crie de me laisser tranquille, mais ils m’arrachent ma jupe en tirant dessus. Mon bikini descend et je me retrouve la craque de fesses à l’air. Pendant que je suis dans les airs, je croise les regards de certaines personnes qui fixent au loin, mais personne ne vient m’aider. Je suis humiliée, enragée, et je sens que ma dignité et mon intégrité physique ont été atteintes. Quelques minutes plus tard, le représentant du syndicat étudiant à qui je vais demander de l’aide me répond « À quoi tu t’attendais, de la manière que t’es habillée? ».
Mais ce n’est pas tout. Cette semaine-là, tard le soir à la fin d’un cours, je croise trois gars dans le corridor désert. L’un d’entre eux me bloque le passage et un autre tient des propos et gestes à caractère sexuel. Je suis prise de peur et je quitte l’école, sans même me rendre à mon casier pour aller récupérer mes effets.
C’est là que je décide d’aller chercher de l’aide, de porter plainte, c’en est trop.
À l’école, quand je raconte ces histoires, les gens banalisent. Soit il faut passer par-dessus « parce que c’est comme ça, ici », soit on me dit de répondre aux harceleurs « du tac au tac ». Certaines filles me disent que « c’est pas si grave », d’autres me répondent qu’elles n’ont jamais vécu de sexisme.
Je me rends donc au département des services aux étudiants de mon université, accompagnée d’un ami témoin de mon agression. On me dirige d’une personne à l’autre, jusqu’au directeur du département. Je lui mentionne qu’il faut que les choses changent, qu’il y ait une politique sérieuse, de la formation et de la sensibilisation. Il m’écoute raconter le sexisme vécu, mais il ne m’aide pas. Il ne me guide pas aux bons endroits (aide psychologique, dépôt de plainte formelle), puis il termine la rencontre en me disant « Tu sais, il y en a qui se victimisent. ». Je sors de son bureau, encore plus démolie, avec un sentiment d’abandon et de « victim blaming ».
Mon syndicat étudiant ne m’aide pas non plus. Durant une réunion du conseil d’administration à laquelle je dénonce le sexisme, des gars prennent ensuite la parole pour me dire que ce sujet est une perte de temps qui devrait se discuter « dans les corridors ». Quels autres sujets furent abordés avec intérêt lors de cette réunion ? Les partys et l’alcool, notamment…
Je n’ai plus le choix ; je prends les choses en main pour monter un dossier. Pour ça, il faut rencontrer des filles, recueillir leur témoignage, monter un rapport. Je me rends même à Toronto pour rencontrer des militantes et on fonde la Coalition of Canadian Students Against Sexual Violence. Après avoir recueilli près de 40 témoignages de filles de l’ÉTS, je compare les politiques des autres universités et je rencontre le directeur général de mon école. Il ne semble pas prendre mon rapport au sérieux et me dit qu’en l’absence d’une « plainte formelle », rien ne peut être fait.
Je dépose alors ladite plainte formelle interne au printemps 2016. L’enquêtrice embauchée par l’école déclare ma plainte fondée. Or, rien de ce que je demandais n’est ensuite fait ; pas de politique sur le harcèlement sexuel, pas de formations obligatoires, et mes agresseurs n’auront aucune mesure disciplinaire. Qu’est-ce que ça m’a donné ? Rien.
C’est là que je constate la banalisation des violences faites aux femmes dans mon université. Je dénonce dans les médias et ça marche, j’ai enfin une vague de soutien ! On crée même un regroupement : trois filles de différentes universités pour réclamer une loi qui obligerait les institutions du Québec à effectuer de la formation obligatoire sur les violences sexuelles. Et on a obtenu cette loi, qui a été sanctionnée à l’Assemblée Nationale du Québec en décembre 2017 ! Merci à Ariane Litalien et à Mélanie Lemay, qui sont les fondations de notre regroupement, Québec contre les violences sexuelles.
Durant cette même période, je dépose une plainte à la Commission des droits de la personne pour harcèlement sexuel et discrimination systémique. Je gagne sur toute la ligne : Non seulement la Commission reconnaît que j’ai été harcelée et discriminée, mais toutes les mesures systémiques que je demandais sont imposées à mon université, en plus de 34 500 $ de dommages qui doivent m’être payés par mon université, mes agresseurs, et mon syndicat étudiant qui a failli à me protéger.
J’ai appris qu’en 40 ans d’existence de mon université, j’étais la première femme à porter plainte. L’année suivant mes démarches et l’arrivée de notre Loi, j’ai appris qu’il y avait eu près de 100 signalements !
Porter plainte, c’est long, c’est dur, c’est humiliant. Mais finalement, j’ai l’impression de m’être battue pour toutes les femmes…
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Déposer une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est un service public gratuit. Il n’est pas nécessaire d’embaucher un avocat ou une avocate pour y avoir accès. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à consulter le site de la Commission.
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Référence suggérée : Marin, Kimberley (2022, Mars). Pourquoi j’ai porté plainte pour harcèlement et discrimination. Le courage d’agir. www.couragetoact.ca/blog/pourqoui-jai-porte-plainte