Par : Gabrielle Richard, PhD | Université de Paris-Est Créteil
On se souvient presque toustes du moment où on nous a enseigné la puberté. La nervosité était palpable, autant du côté des élèves que des adultes. Les enseignements se faisaient sur la base de deux planches anatomiques. La première représentait un corps masculin nu, avec des flèches qui désignaient les endroits de son corps où la puberté se donne à voir : menton (pilosité faciale), gorge (mue de la voix), pénis (éjaculations), etc. La seconde mettait en scène un corps féminin. Les flèches pointaient d’autres zones du corps : aisselles (pilosité), utérus (règles), seins (développement de la poitrine), etc. Les changements engendrés par la puberté étaient présentés de façon binaire, nécessairement différents selon qu’ils touchent les filles ou les garçons.
Mais pourrait-il en être autrement ? En fait, oui. Dans sa thèse de doctorat, la sociologue Élise Devieilhe s’intéresse aux méthodes d’enseignements liés au corps et à la sexualité en Suède et en France. Elle y parle notamment dulivre le plus important du monde (Världens viktigaste bok), l’un des manuels d’éducation à la sexualité les plus utilisés dans la région de Stockholm. La puberté y fait l’objet d’un traitement non différencié sur le plan du genre. Au lieu d’insister sur les différences entre les changements pubertaires chez les filles et les garçons, on propose de mettre en évidence les ressemblances dans ces processus : pilosité accrue, augmentation du désir sexuel, développement de la poitrine, etc. L’objectif est de normaliser ces processus qui peuvent se donner à voir chez différentes personnes, sans égard à leur genre, et d’amener un regard critique face à la norme du différentialisme (qui contribue à naturaliser la différence entre les sexes). Bref, à « faire éclater » nos enseignements sur la puberté.
Dans Hétéro, l’école ? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité (2019), j’interroge les manières dont on peut « faire éclater » l’ensemble de nos enseignements relatifs à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle. Cette démarche emprunte à la pédagogie queer. Là où la pédagogie inclusive cherche à faire rentrer des groupes minoritaires dans la norme (en s’intéressant aux impacts de la marginalisation de ces groupes), la pédagogie queer, ou critique des normes, tourne plutôt le regard vers la norme elle-même. Il s’agit d’interroger son existence et les privilèges qu’elle confère. La pédagogie queer centre son regard sur deux normes principales : la norme hétérosexuelle (suggérant que l’hétérosexualité est normale et attendue de tout le monde) et la norme cisgenre (suggérant que les organes génitaux d’une personne déterminent nécessairement, et naturellement, l’identité et l’expression de genre de cette dernière).
Il s’agit de notions a priori complexes, y compris pour des adultes. Est-ce à dire que les jeunes sont, justement, trop jeunes pour en entendre parler ? Loin s’en faut, et pour au moins deux raisons. D’abord, parce que tout le monde a un genre et une orientation sexuelle, même si ces notions font l’objet d’exploration. Ensuite, parce que les résultats d’études sociologiques récentes nous montrent que les adolescent.es et jeunes adultes ont une conception du genre beaucoup moins binaire et plus fluide que celle de leurs aîné.es (Renold et al., 2017).
Adopter une approche pédagogique queer, c’est interroger les normes plutôt que les groupes et les personnes qui en dérogent. C’est questionner les privilèges que l’adhésion aux normes confèrent, et qui restent généralement invisibles. C’est se pencher sur les silences des textes. C’est accepter que l’inconfort puisse être le signe qu’il se joue quelque chose sur le plan des apprentissages. Surtout, c’est enseigner en acceptant que l’éducation puisse ne pas être neutre, surtout en ce qui concerne le genre et les sexualités.
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Référence suggérée : Richard, Gabrielle. (octobre 2022). Faire éclater la puberté. Le courage d’agir. www.couragetoact.ca/blog/g-richard