Rendre des décisions avec soin : stratégies pour une pratique qui tient compte des traumatismes et qui réduit les préjudices
Présenté par : Zanab Jafry
Scénario : Une manifestation de violence sexuelle s’est déroulée sur votre campus et l’enquête menée a permis de conclure que la politique relative aux violences sexuelles de votre établissement d’enseignement postsecondaire a été enfreinte par la personne mise en cause. Vous êtes responsable de prendre les décisions relatives à ces cas et vous voulez donc vous assurer de rendre des décisions avec soin. À cet effet, vous vous questionnez sur les meilleures façons d’atteindre un équilibre entre l’équité procédurale, la prise en compte des traumatismes et la réduction des préjudices subis.
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Recommandation : En utilisant des approches tenant comptes des traumatismes afin d’en limiter les effets et les impacts et en mettant en place des stratégies de réduction des préjudices visant à diminuer les préjudices globaux engendrés par le processus de traitement des plaintes, nous améliorons l’équité procédurale en levant certaines des barrières auxquelles sont confrontées les personnes plaignantes et mises en causes. Cela se traduit par un processus global plus juste et plus efficace.
Mise en contexte : Au Canada, il est courant pour les établissements d’enseignement postsecondaire de traiter les approches tenant compte des traumatismes comme étant distinctes des processus d’enquête, d’arbitrage et d’appel ou même en contradiction avec la notion d’équité procédurale. Cependant, nous prenons de plus en plus conscience du besoin urgent de développer des approches et des services de soutien qui tiennent compte des traumatismes et qui cherchent à réduire les préjudices engendrés, et ce, afin d’être en mesure de soutenir adéquatement toutes les personnes impliquées dans les processus de signalement.
Définitions clés :
Prise en compte des traumatismes : Pratique qui supporte l’idée que l’équité dans les processus de plainte ne peut être atteinte que si l’on reconnaît la façon dont la culture du viol, les différentes formes d’oppression, les réponses neurobiologiques face aux traumatismes, les stéréotypes, la semonce des personnes victimes et survivantes de même que de multiples autres facteurs aggravent l’ampleur de la violence fondée sur le genre subie par la personne plaignante. C’est la loupe à travers laquelle doit s’effectuer le dépôt des plaintes et des signalements, l’offre de services de soutien, le processus d’enquête, les rencontres avec les parties et le rendu des décisions. La prise en compte des traumatismes doit aussi moduler l’environnement général souhaité au sein d’un établissement d’enseignement postsecondaire (définition fournie par Rebecca Akong).
Réduction des préjudices : Tout processus visant le traitement d’une plainte en matière de violence sexuelle ou genrée engendrera certains préjudices pour les personnes impliquées. La violence sexuelle provoque des traumatismes profonds et le fait de relater les détails de cette violence est souvant très difficile. La réduction des préjudices consiste à développer et à mettre en œuvre des stratégies et des processus qui visent à éviter de traumatiser ou d’engendrer des préjudices pour toutes les personnes impliquées et, plus largement, pour la communauté du campus dans son ensemble.
Rôles et responsabilités : Les personnes plaignantes et mises en cause ont toutes deux un rôle à jouer dans la transmission des informations. Considérant qu’elles fourniront des détails et des éléments de preuve auxquels elles seules ont accès, il est nécessaire de s’assurer qu’elles soient en mesure de le faire au meilleur de leurs capacités de sorte à ce que les personnes chargées de mener l’enquête et de rendre une décision puissent remplir leur rôle de manière réfléchie et équitable. L’ensemble de ce processus repose sur la création d’un environnement dans lequel les informations peuvent être partagées et reçues de manière équitable.
Impacts des traumatismes : Il est cependant connu que les impacts associés aux traumatismes empêchent souvent la création d’un tel environnement. Cela peut avoir un effet sur les personnes impliquées à plusieurs niveaux :
En limitant leur capacité à se souvenir des détails et en inhibant la force de leur mémoire ;
En les empêchant de décrire des moments qui pourraient susciter un traumatisme, mais qui sont pertinents pour l’enquête ;
En les empêchant d’avoir pleinement confiance envers les personnes chargées de les tenir informées du déroulement de l’enquête ;
En les rendant hésitantes à poursuivre le processus d’enquête.
En limitant la qualité des informations qui peuvent être fournies, les traumatismes empêchent à la fois la personne plaignante et la personne mise en cause de remplir pleinement leur rôle dans la transmission des informations pertinentes à l’enquête. Par conséquent, certaines informations qui pourraient avoir une incidence sur l’issue de l’enquête ou sur la décision rendue pourraient ne pas être transmises aux personnes chargées de mener à bien ces processus.
Comment les parties impliquées peuvent-elles remplir leurs rôles quand elles sont limitées par les impacts associés aux traumatismes ? Est-ce que les établissements d’enseignement postsecondaire reçoivent les informations de manière optimale ? Entendent-ils réellement tout ce qu’ils ont besoin d’entendre ?
Équité procédurale qui tient compte des traumatismes : Nous sommes d’avis qu’en utilisant des approches qui tiennent compte des traumatismes à même le processus, nous améliorons de manière globale l’équité procédurale parce que nous limitons la portée des impacts des traumatismes qui compromettent la capacité des personnes impliquées à participer pleinement au processus d’enquête. Nous créons ainsi un environnement dans lequel les personnes impliquées peuvent fournir de l’information pertinente dans un cadre aussi optimal que possible, et ce, autant pour elles que pour les personnes chargées d’enquêter et de rendre une décision.
Rendre des décisions avec soin : Il est possible de mettre en œuvre les principes inhérents à une pratique qui tient compte des traumatismes et qui réduit les préjudices en rendant les décisions qui concluent le processus de plainte. Voici nos recommandations pour y arriver :
Informer les personnes impliquées de la date de remise de la lettre de décision à l’avance ;
Aviser les personnes impliquées au moins 24 heures avant que la décision ne soit rendue ;
Assurez-vous que la décision ne soit pas rendue le vendredi afin que les personnes impliquées puissent obtenir du soutien sur le campus ;
Demander aux personnes concernées si elles aimeraient transmettre une copie de la lettre de décision à certaines personnes, là où cela n’est pas interdit par certaines politiques ou convention collectives ;
Dans la mesure du possible, encourager la personne mise en cause à respecter les souhaits de la personne plaignante, même si ceux-ci n’ont pas été explicitement exigés dans le cadre de la décision rendue.
Toutes ces stratégies visent à réduire de manière générale les préjudices subis par les personnes impliquées dans un processus de plainte. Pour plus d’informations et pour approfondir vos réflexions sur ce sujet, n’hésitez pas à visionner notre webinaire [en anglais], intitulé Making Outcome Decisions: Legal, Institutional and Other Factors to Consider.
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Référence suggérée : Jafry, Zanab. (2021, Mai). Rendre des décisions avec soin : stratégies pour une pratique qui tient compte des traumatismes et qui réduit les préjudices. Le Courage d’agir. www.couragetoact.ca/blog/decisions-avec-soin